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Pourquoi l'uranium a de nouveau la cote auprès des investisseurs?

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Maintenant que l’uranium est à nouveau ‘politiquement correct’ depuis plusieurs années et que des entreprises comme Google et Microsoft cherchent à investir dans des centrales nucléaires pour répondre à leurs propres besoins énergétiques (IA, cloud), la matière première a également trouvé sa place dans les portefeuilles d’investissement. Pour investir dans l’uranium, il faut toutefois maîtriser les bases du fonctionnement du marché. L’uranium est unique dans le spectre des matières premières à plusieurs égards, à la fois en termes de production et de formation de prix

Le cycle de l'uranium

©ABACA

Dans le segment de l’upstream, les minerais d’uranium sont extraits. Il peut s’agir d’une mine à ciel ouvert, d’une mine souterraine ou d’une méthode de production in situ: le minerai n’est pas extrait, mais une solution oxydante est injectée directement. C’est de loin la méthode de production la moins coûteuse et la plus respectueuse de l’environnement, mais la géologie doit également s’y prêter. Les minerais d’uranium sont transformés en oxyde d’uranium ou U3O8 (yellowcake) par des procédés chimiques. L’étape suivante est le raffinage et la conversion, où le yellowcake est converti en une forme gazeuse, l’hexafluorure d’uranium ou UF6. Ce dernier sert de base à un nouvel enrichissement. C’est le processus final qui permet de produire des éléments combustibles utilisés dans les réacteurs nucléaires. Ce combustible nucléaire est appelé EUP ou produit d’uranium enrichi (Enriched Uranium Product).Les principaux acteurs du marché de l’uranium, outre les producteurs de minerai d’uranium eux-mêmes, sont les compagnies de services d’utilité publique qui exploitent des centrales nucléaires. Au total, une soixantaine d’entreprises gèrent collectivement l’exploitation de 439 réacteurs (à l’heure actuelle). Elles doivent veiller à ce que les centrales nucléaires ne s’arrêtent jamais et à ce que l’approvisionnement soit toujours suffisant en combustible nucléaire. À cette fin, des contrats à long terme sont conclus pour la fourniture d’U3O8, pour des durées allant de 5 à 10 ans. Ces contrats prévoient des prix minimums et maximums pendant toute la durée du contrat. Il convient de noter que les compagnies d’utilité publique n’achètent pas un produit prêt à l’emploi (EUP), mais qu’elles sont en grande partie responsables de la conversion et de l’enrichissement. Elles souhaitent en effet contrôler autant que possible l’ensemble du cycle du combustible nucléaire

'Spot price' peu pertinent

Environ 80% de la demande physique d’U3O8 provient des services publics et passe par le marché contractuel. Le marché spot est essentiellement le terrain de jeu des traders qui profitent simplement des écarts de prix. Parfois, les producteurs d’U3O8 s’approvisionnent également sur le marché spot lorsque leur propre production est insuffisante pour remplir leurs obligations contractuelles. C’est le cas, par exemple, lorsque le prix spot est inférieur au coût de production. Cela a souvent été le cas au cours de la période 2016-2020. Ce n’est plus le cas depuis quelques années, et cette période n’est pas prête de revenir, ce qui rend le prix spot de moins en moins pertinent. Néanmoins, il est encore injustement considéré comme une référence par le marché, même si seule une petite minorité de tout l’U3O8 est échangée au prix spot et que ce prix n’est pas non plus celui que les producteurs obtiennent. Le prix des contrats à terme n’est publié qu’une fois par mois par UxConsulting et TradeTech sous la forme d’une moyenne pondérée des prix minimums. Le rendement réel sur la durée de ces contrats est donc sous-estimé

Déficit d'offre

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Après la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’uranium a été en perte de vitesse pendant plus d’une décennie, mais ces dernières années, il est apparu clairement que la transition énergétique vers une réduction des émissions n’était pas possible sans contribution substantielle de l’énergie nucléaire. En 2022 et surtout en 2023, les prix ont augmenté et les fonds à effet de levier sont revenus sur le devant de la scène. En début d’année, l’optimisme autour de l’uranium a atteint son paroxysme avec un prix spot supérieur à 100 USD, le niveau le plus élevé depuis 2007 ! Depuis ce sommet, le prix spot de l’U3O8 a chuté d’environ un quart, à moins de 80 USD, ce qui a entraîné une nette baisse des actions liées à l’uranium cette année et creusé la décote des fonds d’investissement dans l’uranium par rapport à la valeur intrinsèque. Cette situation contraste avec le prix contractuel le plus pertinent pour les producteurs, qui a augmenté de plus d’un tiers au cours des 12 derniers mois.Le manque d’investissements dans de nouvelles capacités de production après Fukushima menace de provoquer une pénurie d’U3O8 au cours de la prochaine décennie. Cette situation est exacerbée en aval par la crise de l’industrie du raffinage et de l’enrichissement, où des destructions de capacités ont également eu lieu. La Russie détient une part de marché globale de 22% dans la conversion et de 36% dans l’enrichissement. Depuis les sanctions imposées au pays, cette capacité n’est plus disponible. La World Nuclear Association a calculé que 30% de l’ensemble du combustible nucléaire nécessaire d’ici 2030 (200 millions de livres) n’a pas encore de capacité de production ni de licence

Cette pénurie d’U3O8 est encore aggravée en aval par la crise dans l’industrie de raffinage et d’enrichissement. Cette capacité est pourtant nécessaire pour fournir du combustible nucléaire aux nombreux projets de réacteurs classiques et de petits réacteurs modulaires (SMR). Ces derniers servent à fournir de l’énergie, par exemple, à une zone géographique spécifique (ville ou agglomération) ou à des centres de données 

Demande d'IA

Notons également l’accord entre le groupe énergétique américain Constellation Energy et Microsoft sur la réouverture de la centrale nucléaire de Three Mile Island dans l’État de Pennsylvanie. À cette fin, Constellation investira 1,6 Mrd USD. Microsoft achètera l’énergie dont elle a besoin pendant 20 ans pour alimenter les centres de données qui gèrent les modèles de langage pour l’IA. Three Mile Island possède deux réacteurs, dont l’un a subi une fusion partielle en 1979. L’incident n’a fait aucune victime, mais il a calmé l’enthousiasme des États-Unis pour l’énergie nucléaire pendant une longue période. L’autre réacteur sera redémarré d’ici 2028. En début de mois, un groupe de 14 banques et financiers a soutenu un programme de financement du secteur.. 

Diversifiaction par le ETF

 Les ETF sont intéressants à titre de diversification. Les indices sous-jacents se composent à la fois de producteurs d’U3O8, de sociétés de raffinage, de développeurs de projets et de groupes de royalties. Sur les bourses européennes, Sprott Uranium Miners ETF est le plus important avec 309 Mio EUR sous gestion. Ce tracker commercialisé par la société britannique HANetf est coté à la fois sur le London Stock Exchange (en USD sous le ticker URNM) et sur le Xetra allemand (U3O8 et code ISIN IE0005YK6564). Le sous-jacent est l’indice North Shore Sprott Uranium Miners, qui comprend 39 sociétés, dont les 10 plus grandes représentent 77% de l’indice. Outre Cameco et les deux plus grands trusts d’uranium physique, les 10 premières comprennent Kazatomprom, Denison, Paladin et NexGen. Les petites sociétés de développement et d’exploration sont également représentées, mais leur poids est moindre.


Une alternative est le Global X Uranium ETF, qui, avec 123 Mio EUR sous gestion, est un peu plus petit mais réplique le Solactive Global Uranium&Nuclear Components, qui compte 26 positions. Comme l’ETF de Sprott, il est coté sur le LSE et le Xetra. Le code ISIN de ce tracker est IE000NDWFGA5 et ses frais de gestion annuels (0,65%) sont inférieurs à ceux de l’ETF Sprott (0,85%). L’inconvénient de ce tracker est qu’il est enregistré à la FSMA et donc soumis à la taxe boursière de 1,32%.

Le VanEck Uranium and Nuclear Technologies (Francfort: IE000M7V94E1 ), qui gère 174 Mio EUR et insiste davantage sur la construction d’infrastructures (Japon) et l’uranium, a le coût le plus bas (0,55%). Cameco est la principale participation avec 11%, suivie par BWX Technologies et quelques sociétés d’infrastructure japonaises. Ce dernier ETF est le plus performant cette année, alors que leur évolution était assez similaire autrefois.

Trusts physiques 

Lorsque, à la fin de la dernière décennie, le prix spot de l’U308 était inférieur au coût de production et que plusieurs sociétés ont arrêté leur production, des acteurs financiers comme Sprott et YellowCake y ont vu l’opportunité de créer un trust physique pour retirer l’uranium excédentaire du marché. Le Sprott Physical Uranium Trust détient actuellement 65,5 Mio de livres d’U3O8 qui, au prix spot actuel, valent 5,22 Mrd USD. Le trust est coté à Toronto en USD et en CAD. Une cotation à New York est envisagée. Au moment d’écrire ces lignes, le trust affichait une décote de 4,1% par rapport à sa valeur intrinsèque. La société britannique YellowCake a un modèle d’entreprise similaire, mais est plus petite, avec 21,68 Mio de livres d’U3O8. YellowCake s’échange à Londres et sa décote est légèrement plus élevée (6,8%)

Cameco: géant du secteur

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Parmi les sociétés d’uranium, Cameco est la seule entièrement intégrée verticalement. Outre l’extraction du minerai (Cigar Lake, McArthur River et certains actifs non opérationnels), elle gère une usine de traitement (Key Lake) et un pôle Fuel Services (conversion) qui vend de l’UF6. En outre, Cameco a investi dans l’enrichissement et, grâce à sa récente participation de 49% dans Westinghouse, ajoute la maintenance et les services à son offre. Westinghouse assure la maintenance d’environ la moitié des réacteurs nucléaires actifs. Notons que près de 85% de son chiffre d’affaires est récurrent.L’action a dévissé de 56 USD début juin à 36 USD début septembre. Cette correction ne reposait sur rien d’autre que la chute du prix spot. Ces dernières semaines, l’action s’est redressée. Dans la perspective de cash-flows plus élevés, Cameco permet d’investir sur le boom nucléaire de la prochaine décennie. Les risques opérationnels sont réels et l’endettement élevé. Nous conseillons l’achat, mais avec une note de risque plus élevée que la moyenne (C+ 4 ▲)

Conclusion 

Les formes d’énergie verte comme le vent et le soleil ne sont pas disponibles en permanence. L’énergie supplémentaire nécessaire, qui ne doit pas non plus émettre de CO2, est forcément d’origine nucléaire. 60 nouveaux réacteurs sont en cours de construction. La demande et donc le besoin croissant d’U3O8 semblent donc garantis. Vu la pénurie de capacité d’enrichissement, pour obtenir le même rendement, il faut suralimenter les usines existantes, ce qui se traduit également par une augmentation de la demande d’U3O8. Au moins pour les cinq prochaines années, l’offre de capacité d’enrichissement restera limitée. Des atouts importants pour l’industrie.


Cela étant dit, rien n’est certain sur les marchés financiers et certaines circonstances pourraient tout aussi bien compromettre ce scénario positif, comme un nouvel incident nucléaire qui pourrait saper la confiance dans le nucléaire une nouvelle fois. En outre, on parle encore peu du coût du stockage des déchets nucléaires, généralement pris en charge par les Etats.  Vous pouvez prendre position, mais la volatilité du secteur nous contraint à lui associer une note de risque élevée (4).

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